Bonjour à tous et d'abord merci pour cette 18eme rencontre à nouveau bien stimulante.
J'aimerais revenir sur l'exemple de la robotisation, et plus généralement sur la question du progrès technologique. Tu as dit Michel que ce progrès n'était pas un problème en lui-même, mais qu'il ne devait pas s'appliquer dans les entreprises au détriment des collaborateurs.
Est-ce que ça ne mériterait pas quelques développements ?
Car aujourd'hui, dans de nombreux domaines, c'est justement cela qui se produit : loin d'être neutre, le progrès technologique actuel, dans nos économies capitalistes financiarisées, est fortement orienté par les détenteurs de capitaux en vue d'augmenter la productivité tout en réduisant le "coût du travail" : les machines remplacent les humains, sont rapides, ne font jamais grève, et il n'y a pas de charges sociales à payer pour elles... Et même si elles réalisent les tâches répétitives et fastidieuses, le rôle des employés qui restent est souvent réduit à celui de pousse-boutons rivé à un écran d'ordinateur, ce qui n'est pas spécialement enthousiasmant !
C'est donc dès la conception des outils technologiques que le progrès devrait prendre un autre chemin dans une société civilienne, N'étant plus soumis à l'impératif de maximisation de la rentabilité, les ingénieurs devront concevoir des machines en pensant tout autant aux utilisateurs de ces outils (ergonomie, cadence...) qu'aux produits fabriqués. Sans parler plus largement de la question écologique !...
D'ailleurs, au niveau des produits eux-mêmes, on pourra aussi espérer un recul de l'obsolescence programmée et un regain de qualité et de durabilité. Michel tu as pris l'exemple de l'imprimerie : numérique à très haut débit aujourd'hui, au plomb hier. Il faut quand même dire que la qualité des livres (en tant qu'objets) aujourd"hui a très fortement régressé. En particulier, le passage de la reliure par cahiers cousus à l'assemblage de feuillets collés donne des livres qui s'abîment très vite, presque aussi "jetables" que les rasoirs BIC (je ne fais pas de publicité)... Il y aurait de nombreux autres exemples, même dans l'électronique hi-tech. Et on qualifie de "progrès" toutes ces choses qui sont en réalité anti-économiques ! (du point de vue d'une économie saine et "dépolluée", comme dirait un certain M. Laloux...)
Amicalement,
Florent Vial
On n’est jamais assez précis et, par tes commentaires, tu me donnes l’occasion de compléter ce que j’ai dit dans la vidéo.
Mon propos s’appliquait au contrat de collaboration et au contrat de rémunération. Sur ce plan, la robotisation ne me semble pas tuer l’emploi, comme l’on dit, si nous sommes dans une situation correspondant à celle qui est décrite dans la Rencontre Civilienne 18A. Aujourd’hui, du point de vue du contrat de travail, la robotisation supprime des postes sans forcément en recréer d’autres et en tous cas pas dans le domaine non-marchand. Elle a donc de sérieuses conséquences sur les collaborateurs qui se retrouvent au chômage avec tous les dommages que l’on sait, surtout si la robotisation touche, en même temps, de nombreuses entreprises.
Sur d’autres plans la robotisation peut engendrer des problèmes comme ceux que tu décris : le travail presse-boutons, l’ergonomie, la santé au travail, l’environnement, la qualité des produits, etc. Ces problèmes existent également indépendamment de la robotisation même si celle-ci risque fortement de les accentuer. Ceci pose deux questions :
Comment remonter aux vrais causes des problèmes posés par chacun de ces points et comment les traiter ? Cette question touche des domaines autres que l’économie proprement dite. Dans bien des cas, c’est à la recherche en écologie, en médecine, en psychologie, en sociologie, etc., qu’il appartient de déterminer ce qui est favorable ou non au développement de la civilisation et de l’être humain. Il s’agit donc d’abord de ce qui a affaire avec la culture. Si celle-ci a les moyens de s’emparer de telles problématiques, de façon objective, toute la question sera alors : comment les résultats de ces recherches influeront-ils sur la pratique au sein des entreprises ?
Du point de vue de l’économie, on devrait se demander : comment déterminer les prix des marchandises et des services qui tiennent compte des dommages causés par l’activité déployée par une entreprise. Le prix devrait toujours inclure la « réparation ». Pour donner un exemple simple : le prix d’un meuble devrait intégrer le coût de l’arbre à replanter, ainsi que l’équilibre de l’éco-système. De même pour les problèmes générés par la pénibilité d’un travail ou l’utilisation d’une machine. Il s’agit donc de la question centrale de l’économie, celle du prix. C’est la plus difficile et nous avons tout à faire dans ce domaine. Elle ne sera vraiment saisie que lorsque l’économie sera dépolluée des facteurs qui empêche justement que cette question apparaisse sous son vrai jour.